Le projet de loi sur la Constitution du Québec actuellement discuté établit des principes qui structureront notre vie collective pour les générations à venir. Ces principes sont nombreux et variés, mais il est essentiel que la liberté académique et l’autonomie universitaire y trouvent leur juste place.
Ces valeurs ne sont pas des privilèges : elles sont des conditions de réalisation de la mission des établissements universitaires. À ce titre, elles constituent des fondements de notre vitalité démocratique, à la manière de l’indépendance des tribunaux.
Comme le rappelait le rapport Parent, « la sauvegarde de la liberté universitaire est souvent la garantie des autres libertés civiques ». Elle protège la capacité de la communauté universitaire d’explorer toutes les questions de façon rationnelle, même les plus sensibles, sans crainte de représailles. Elle assure que la science progresse par la confrontation des idées et non par l’imposition de dogmes.
Autonomie
L’autonomie universitaire, quant à elle, permet aux établissements de décider de leurs orientations scientifiques, de leurs programmes et de leur gouvernance. Elle garantit que les choix académiques ne sont pas dictés par des considérations extérieures au milieu scientifique. Si l’université est perméable aux pressions politiques ou économiques, comment garantir que la recherche qu’elle produit serve la vérité plutôt que des intérêts particuliers?
Or, l’article 5 du projet de loi pourrait mettre en péril ces acquis démocratiques en interdisant aux établissements universitaires de contester certaines lois à partir de leurs fonds de fonctionnement. Cette restriction les priverait de leur ultime recours: la possibilité de saisir les tribunaux pour défendre leur mission d’enseignement, de recherche et de création.
Une telle limitation crée une brèche dans la protection des principes qui assurent la liberté académique.
États-Unis
Ce risque n’est pas théorique. La situation aux États-Unis le démontre avec force. Il y a un an à peine, personne n’aurait imaginé que des universités parmi les plus importantes au monde seraient attaquées presque quotidiennement par leur propre gouvernement. Or, au cours de la dernière année, l’administration américaine a mené une fronde contre la liberté et l’autonomie universitaires: gels de financements de recherche sur certaines thématiques, pressions pour supprimer des programmes, enquêtes ciblées sur la gouvernance interne des établissements et menaces à l’endroit des étudiants et des chercheurs détenteurs de visas.
L’Université Harvard a même subi des coupes arbitraires de plus de deux milliards de dollars en subventions fédérales et la révocation de son autorisation d’accueillir des étudiants étrangers. Face à ces attaques, l’université disposait d’un recours, et d’un seul: la contestation devant les tribunaux. La juge de première instance lui a d’ailleurs donné raison en septembre dernier. Ce précédent illustre l’importance des garde-fous qui permettent aux établissements universitaires de défendre leur mission.
C’est pourquoi nous demandons au législateur de retirer les établissements universitaires de l’article 5 du projet de loi, en plus de reconnaître la liberté et l’autonomie universitaires à même la Constitution. Cette approche ferait du Québec un pionnier en Amérique du Nord, mais ne serait pas inédite à l’échelle internationale. Elle s’inspirerait de plusieurs autres États, comme l’Allemagne, la Finlande, la Grèce ou le Portugal, qui ont déjà intégré sous une forme ou une autre la reconnaissance de ces principes démocratiques dans leurs lois fondatrices.
Liste des signataires
- Alexandre Cloutier, président, l’Université du Québec
- Stéphane Pallage, recteur, Université du Québec à Montréal
- Christian Blanchette, recteur, Université du Québec à Trois-Rivières
- Ghislain Samson, recteur, Université du Québec à Chicoutimi
- François Deschênes, recteur, Université du Québec à Rimouski
- Murielle Laberge, rectrice, Université du Québec en Outaouais
- Vincent Rousson, recteur, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue
- Luc-Alain Giraldeau, directeur général, Institut national de la recherche scientifique
- Hugo Cyr, président de la direction et directeur général, École nationale d’administration publique
- Kathy Baig, directrice générale, École de technologie supérieure
- Lucie Laflamme, directrice générale, Université TÉLUQ